Plaidoyer pour l’Alpazur Genève – Nice
Le 19 septembre 1989, un avis de décès... ferroviaire : le dernier train ALPAZUR Genève - Nice arrivait à Nice à 20h40, venant de Genève, et dans le sens montant à 19h14 à Genève.
Un restaurant apprécié
C'en était terminé d'une liaison internationale reliant la Suisse à Nice, commencée une vingtaine d'années plus tôt. Assurée durant plusieurs années avec de belles rames RGP, ce fut un franc succès avec repas à bord. Le contrôleur dès le départ demandait aux voyageurs qui souhaitait déjeuner à bord. Via les gares d’Aix-les-Bains et de Chambéry était communiqué par téléphone au buffet de la gare de Grenoble le nombre de candidats au repas.... avec quelques plateaux de plus pour les voyageurs montés à Grenoble.
Ayant été l'heureux passager de cette liaison, j'avais constaté que la majorité des passagers déjeunaient à bord traversant des forts beaux paysages, le plateau du Trièves , le Mont Aiguille, la montée au col de Lus la Croix Haute où avait lieu généralement un croisement avec un autorail venant de Gap avec destination Grenoble.
Un matériel roulant historique en Provence
Arrivé à Digne, l'autorail ALPAZUR en correspondance des Chemins de Fer de Provence attendait sur le même quai les voyageurs en provenance de Genève pour les emmener vers la Côte d'Azur… un voyage inoubliable en Provence. Trois petites heures de bonheur et l'arrivée dans la gare monumentale de Nice. A cette époque les heureux utilisateurs, sans bien le savoir, étaient emmenés à bord d'autorails Renault… très historiques, construits bien avant la seconde guerre mondiale. L'un de ces derniers vénérables a été restauré récemment et assure des trains touristiques organisés par le GECP (groupement d'études des chemins de fer de Provence).
Un petit bout de ligne manquant, et c’est la fin
Il était aussi possible, lors du passage à Saint-Auban, de prendre une correspondance pour Aix-en-Provence et Marseille. Saint-Auban : un petit bout de ligne de 19km reliant la « Ligne des Alpes » à Digne, d’où partent les Chemins de fer de Provence. Il aura suffit de fermer cette ligne à tous trafics le 19 septembre 1989 pour que soit enterré sans fleurs ni couronnes le train ALPAZUR ainsi que ses dix liaisons quotidiennes reliant la préfecture du département à Grenoble, Marseille ou Avignon. Ce qui est devenu par la suite une tradition bien Gauloise: Digne ne sera pas la seule et unique Préfecture du département sans trains. Au désespoir des citoyens. ALPAZUR faisait le plein. La SNCF, en pleine période de massacre des voies ferrées dites « petites lignes » adorait mettre « sur route » les trains, faisant dire aux élus : SNCF = Société Nationale des Cars Français.
Alors que ALPAZUR fut en son temps, à la belle époque, une création communes des CFF, de la SNCF et des régions traversées par le train, la SNCF mettra sur route des bus qui, comme le veut la tradition ne retrouvent jamais ou presque les voyageurs perdus. La FNAUT estime à juste titre que le passage du train au bus voit 50 % des voyageurs s'évaporer.
Faire le voyage Genève – Nice aujourd’hui : possible mais aventurier
Je n'en veut pour preuve deux expériences vécues l'été dernier souhaitant "re-découvrir" l'histoire de feu l'ALPAZUR :
Après avoir emprunté un TER de Genève jusqu’à Grenoble, on mijote un certain temps en gare avant de monter dans un confortable autorail. Mais il va se traîner à 40 km/h pendant 25 ou 30 km, car, nous dira le personnel du train : « c'est pour ne pas user les rails ! » Ainsi passent 2 heures et 20 minutes à petite vitesse, en s’arrêtant dans cinq gares. En 1960, il fallait seulement 2 heures en s’arrêtant dans… vingt gares ! Comprenne qui pourra.
Arrivée en gare de Veynes, l’importante gare au carrefour de quatre directions ferroviaires : Briançon, Marseille, Valence et Grenoble. Un guichet ouvert quelques heures par semaine... un désert. Pour se restaurer ? Rien. Constat que les deux Régions Auvergne-Rhône-Alpes (AuRA) et Provence-Alpes-Côte-d’Azur (PACA) ne se coordonnent pas : Quand un TER arrive à Veynes, celui pour Marseille ou le bus pour DIGNE sont partis depuis 15 minutes ! Une histoire à ravir Coluche. Attente d'un autobus pour Digne-les-Bains pendant 1 heure 15 minutes. Lors de notre voyage vers Digne, nous fûmes 2 voyageurs (!) et nous prîmes 2 heures pour arriver à Digne, une gare dans un état digne du tiers monde.
Quand on veut tuer son chien
Les associations concernées de Genève à Nice ont commencé un travail de persuasion auprès des médias (souvent enthousiastes), d'une part, et des élus, d'autre part. Que demandent concrètement les associations ? Le rétablissement des trains sur les 19 km de Saint-Auban à Digne, en partie rendu difficile car il y a une usine SEVESO en bordure de voie ! Le directeur de cette entité dit qu’il n'y aura plus de trains entre Digne et Saint-Auban. La SNCF, il n'y a pas si longtemps, était hostile à toute réouverture de ce bout de ligne, mais les choses commencent à évoluer. Une rencontre très récente avec le vice président du Grand Digne montre qu'on revient à des idées plus logiques. Ah, si Digne était en Helvétie, qui connaît son Glacier Express et son Goldenpass Express.
Opposer vélo et train, le malheur pour tous
Trop souvent, certains découvrent un moyen facile de demander une voie vélo sur les terrassements et l’emprise des voies ferrées. Un terrassement conçu pour une infrastructure lourde serait alors au service d’un poids plume dans la joie et l’allégresse, le nombre des voitures sur la route en parallèle continuant aussi dans la joie et l'allégresse... à augmenter !!! Afin de réduire le trafic automobile, il faut du vélo ET du train. Le vélo, tout le monde en conviendra, restera incapable de remplacer les quatre-roues à partir d’un nombre significatifs de kilomètres à parcourir…
Enfin débarqué à Digne, dernier constat : le bus des chemins de fer de Provence (CP) est déjà parti et nous mijotâmes 2 heures de plus dans une gare surchauffée en plein été. Pas le moindre endroit pour se rafraîchir. Enfin, le bus pour Nice (la voie des CP étant coupée suite à un tunnel éboulé) est arrivé très en retard à destination.
Il faut ne pas oublier que la ligne Grenoble à Veynes a failli passer à la trappe il n'y a pas si longtemps. Mais grâce à des associations "musclées", appuyées par les élus, ceux de la ville de Grenoble notamment, ainsi que des syndicats (CGT entre autre), furent trouvés quelques dizaines de millions pour la sauver ! Mais il y a encore à faire. Quelques dizaines de km sont à réhabiliter. Il y a encore du chemin (de fer !!) à faire pour voir revenir la belle époque des trains Genève – Grenoble – Veynes – Digne – Nice.
Si en 1980 le trajet Genève – Nice nécessitait 8 à 9 heures, et ceci confortablement, en 2023 ce sont cependant… 14 heures insupportables pour tout quidam.
Image : Compte Facebook des Chemins de fer de Provence
Auteur : Jean-Bernard Lemoine
NDLR : L'auteur émet une opinion personnelle. Alprail ne peut en aucun être tenu responsable des propos contenu dans l'article.