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Discours choc de l’ancien Patron des CFF : Extraits

Le 5 juin 2024, Benedikt Weibel, qui était Directeur des CFF jusqu'en 2006, a tenu un discours au Musée des Transports à Lucerne. Son contenu est explosif. Cependant, cela ne devrait venir comme une surprise car plusieurs autres directeurs de compagnies ferroviaires avaient déjà récemment désapprouvé la stratégie "Perspective Rail 2050" des courtes et moyennes distance de l'Office fédéral des transports (OFT). Avant Benedikt Weibel, une longue série comprenant Vincent Ducrot, Patron actuel des CFF, le 19 avril dernier, ou encore de Thomas Küchler, Patron de la Südostbahn, le 8 mars dernier dans le Blick en français. Encore auparavant Renato Fasciati, Directeur des Trains Rhétiques, dans sa tribune du 6 septembre 2023 dans la Neue Zürcher Zeitung, qui lui-même était un écho de Guido Schoch, ancien Directeur des Transports Publics Zurichois et actuel Vice-président de SwissRailvolution. Alprail aussi s'engage aux côtés de SwissRailvolution afin de promouvoir le principe de la "hiérarchie" du réseau, où le trafic longue distance détermine les correspondances sur les moyennes et courtes distances, principe d'un horaire cadencé national. Pour donner un exemple concret, c'est l'Intercité qui détermine l'heure de départ du Léman Express. Faire l'inverse reviendrait à choisir une voie mathématiquement insoluble avec des cadencements déconnectés. Bref, c'est logiquement l'heure de départ à Genève qui détermine l'heure de départ du bus en correspondance dans le Val d'Anniviers, et non l'inverse. Dans cette logique, Benedikt Weibel soutient explicitement la liaison "Léman Sud" via Evian et Saint-Gingolph.

C'est cette combinaison d'efficacité et d'efficience dans la hiérarchie de planification de l'horaire qui a fait le succès du rail suisse, d'abord de l'horaire cadencé national introduit en 1982, puis du fameux *Rail 2000", inauguré en 2004. Mais voilà, après ces succès qui ont fait de la Suisse l'envie du monde entier, la part de marché du rail suisse stagne, et cela au plus tard depuis 2010 et malgré des montants records investis dans son réseau depuis lors.

Extraits du discours de Benedikt Weibel

Vous pouvez télécharger le discours complet ici

"Les conséquences du fédéralisme dans le secteur ferroviaire a été la confusion des tarifs, des horaires non coordonnés, des incompatibilités techniques, des types de wagons différents, des concepts d'exploitation différents, mais surtout un réseau ferroviaire qui n'a jamais été planifié dans une optique globale."

"En Suisse, les distances sont trop courtes pour permettre la grande vitesse, les agglomérations sont trop petites et leur relation géographique trop complexe. Il est intéressant de noter que Flixtrain, un nouveau venu dans le secteur ferroviaire qui connaît comme peu d'autres le marché européen des voyages longue distance, entend par « grande vitesse » des trajets de 200 km/h maximum. Ainsi définis, nous pouvons également parler de trafic à grande vitesse en Suisse."

"Structures et offres"

"Pour chaque type de structure, il faut une idée de base pour une offre ferroviaire optimale. En 1982, les CFF ont introduit la cadence horaire sur l'ensemble du réseau. Avec une cadence horaire, l'horaire de production d'une journée est remplacé par un horaire de production d'une heure qui se répète en permanence. Les avantages de l'horaire cadencé sont la productivité élevée du matériel roulant, une structure plus simple du plan de production et une offre facile à retenir. Son inconvénient : une mauvaise correspondance reste une mauvaise correspondance tout au long de la journée."

"Cette constatation a été l'idée de base du concept « Rail 2000 » - son slogan : plus fréquent - plus direct - plus rapide. L'objectif était de mettre en place un plan de production qui minimise la somme de tous les temps de trajet. C'est sur cette base qu'ont été définis les investissements d'aménagement nécessaires à cet effet. Une telle démarche était une innovation dans le monde ferroviaire. Jusqu'à présent, le développement de l'offre ferroviaire était fonction des investissements dans l'infrastructure ferroviaire. Cette équation a désormais été inversée - les investissements d'aménagement sont devenus une fonction du nouveau concept d'offre. Pour atteindre les temps de parcours nécessaires, 135 projets de construction ont été réalisés sur l'ensemble du réseau, dont une nouvelle ligne. L'investissement total s'est élevé à environ 6 milliards de francs. Depuis la mise en service de Rail 2000, la règle en Suisse est la suivante : de partout à partout, toutes les heures, et dans de nombreuses relations toutes les demi-heures (souvent aussi avec des liaisons par bus). Ce n'est qu'ainsi que les transports publics sont devenus une véritable alternative dans tout le pays."

"Contrairement aux anciennes vertus, la hiérarchie des objectifs et des moyens a été inversée : le point de départ du développement du système ferroviaire n'est plus le concept d'offre, mais l'extension de l'infrastructure. Le fonds pour les projets ferroviaires [ndlr: FAIF] a conduit à un concert de souhaits effréné : Ce ne sont pas de nouvelles offres qui sont demandées, mais de gros investissements - whatever it takes."

"Cette évolution n'est pas seulement contraire aux anciennes vertus, mais aussi à la loi. Dans la section consacrée à l'aménagement de l'infrastructure, la loi sur les chemins de fer mentionne à l'art. 48a les objectifs suivants :
1) amélioration des liaisons avec les espaces métropolitains européens ;
2) amélioration des liaisons entre les espaces métropolitains suisses et à l'intérieur de ceux-ci ;
3) amélioration des liaisons au sein du réseau de villes suisses ;
4) développement du trafic régional et d'agglomération.
Le terme « développement » ne se réfère pas ici à l'infrastructure, mais à l'offre de transport."

"L'art. 48c exige expressément que « les mesures prévues dans les étapes d'aménagement se fondent sur une preuve du besoin et sur un concept d'offre fondé sur l'exploitation et l'économie nationale »."

"La focalisation sans concept sur les investissements d'extension a des conséquences fatales et déjà clairement visibles :
- Malgré l'activité de construction exorbitante, la part de marché du rail n'augmente pas.
- Les énormes investissements entraînent des coûts de système toujours plus élevés, car chaqu’une des investissements dans le système de transport entraînent des coûts car chaque franc investis entraînent 7 pour cent de coûts consécutifs - par an."

"La conclusion est la suivante : nous avons besoin d'un moratoire sur les projets d'extension."

"Cela ne signifie pas pour autant que l'on renonce à toute extension. Mais revenons aux vieilles vertus : l'art consiste à obtenir le plus grand effet de réseau possible avec le moins d'investissements possible."

"Le chemin de fer avant son troisième siècle"

"Le rail se trouve aujourd'hui dans une position stratégique qu'il n'a plus connue depuis des décennies. C'est un petit miracle pour ma génération, qui s'est battue si longtemps dans les difficultés de la plaine."

"25 villes et communes d'agglomération de plus de 10'000 habitants ne sont pas desservies par le réseau ferroviaire suprarégional. La part de marché des transports en commun dans les agglomérations est donc nettement plus faible que dans les villes-centres."

"Dans le magazine de Pro Bahn Schweiz, j'ai lu fin décembre ce qui suit : « Dans aucun domaine des transports publics, le fossé entre les annonces tonitruantes et la réalité n'est aussi grand que dans le trafic international à longue distance et aucune amélioration n'est en vue ». Il n'y a rien à ajouter à cela. Ce constat est particulièrement inquiétant, car c'est précisément dans ce domaine qu'un potentiel important et croissant est laissé en friche."

"Le raccordement au réseau européen à grande vitesse est particulièrement insuffisant en direction du sud-ouest et du nord-est. Le rail perd des parts de marché à cause de ces missing links au profit du transport routier et aérien."

"Un deuxième axe national est-ouest de la région de Berne vers Lucerne - Zoug - Pfäffikon - Saint-Gall avec des accélérations considérables du trafic Suisse occidentale - Berne vers Lucerne, Zoug, Saint-Gall et une décharge des nœuds d'Olten et de Zurich."

"Revitalisation de « Léman Sud » avec les avantages suivants : accélération des liaisons avec le Valais, désengorgement du nœud de Lausanne."

"Encore une fois, ce n'est rien d'autre qu'une idée de base - il ne s'agit aujourd'hui ni de planification de lignes ni de capacités de gares. Nous attendons avec impatience d'autres propositions."

"Que faire ?"

1. Moratoire sur les projets d'extension
2. Optimiser le système existant
3. Débat sur la conception à long terme de l'offre et du réseau

 

 

Texte, choix et mise en page des citations : Alprail
Photo : Benedikt Weibel dans sa parution dans le journal 24heures le 6 juin 2024


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